Savoir pour pouvoir

« Nul n’est censé ignorer la loi. »

Cette phrase, je l’ai entendue de ma mère quand j’étais adolescente. Elle a rythmé une grande partie de ma vie, de ma compréhension du monde, et des limites que je me suis posée (parfois à tord).

A l’époque j’en ai retenu que, peu importe la loi, chacun est censé la connaître et donc la respecter.

Le principe est intéressant, mais l’expérience m’a appris son inapplicabilité !

Pas que chacun y mette de la mauvaise volonté, ô non. Mais parce que PERSONNE ne peut connaître toutes les lois actuelles et applicables le concernant (et encore moins les lois applicables aux autres).

La situation actuelle vient de me le rappeler. Des personnes, pensant bien faire pour la plupart, remplissent leur attestation dérogatoire de déplacement en cette période si particulière. Lors de contrôles policiers, ils sont verbalisés pour une raison ou une autre. Les policiers pensent – je l’espère aussi – pour la plupart bien faire. Sauf qu’il s’avère que la plupart des verbalisations ne reposent sur aucune réalité légale au moment des faits ! (cf. cet article)

Donc d’une part il y a les discours des politiques diffusés de part et d’autres (discours officiels, interview, tweet…), et d’autre part les textes réglementaires qui soit en découlent, soit sont là en amont. Décrets, Lois, Traités, Constitution… tout ce qui donne une valeur légale, une réalité juridique, ces textes sont opposables aux citoyens qui se doivent de les respecter et qui peuvent être verbalisés dans le cas contraire (principe discutable, nous y reviendront après).

Considérer que chacun doit

1/ être au courant des derniers textes en vigueur, même s’ils ont été publiés et sont entrés en application le matin même ;

2/ pouvoir faire la différence entre les paroles des uns et des autres (y compris un ministre ou un président) et ce qui est réellement légal (sans texte de loi publié à l’appui, les paroles n’ont jusqu’à preuve du contraire aucune valeur à ce niveau) ;

3/ se plier et se conformer à toute forme d’autorité même quand celle-ci est manifestement mal informée et/ou abusive, sous prétexte que « l’autorité » est là pour faire appliquer la loi (et implicitement que ceux qui sont détenteur de cette autorité la connaissent mieux que nous) ;

4/ être capable de comprendre l’essence et les implications d’un texte réglementaire, quel que soit son niveau d’études et son environnement socio-professionnel… ;

5/ faire taire son libre-arbitre, son instinct, son bon-sens parce qu’il est rare d’avoir gain de cause face à « la loi », même quand il s’agit d’une erreur d’interprétation de la part de celui qui juge en face ;

(…)
est complètement irréaliste / impossible / manipulatoire.

Affirmer que la seule façon de faire respecter / appliquer / comprendre « la loi » serait de réprimer / verbaliser / enfermer est criminel et inconscient.

Sans même entrer dans le débat du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », il y aurait beaucoup à dire sur ces points de vue et leurs conséquences.

J’ai une formation de documentaliste d’entreprise, et j’ai toujours été passionnée par la recherche d’informations, la vérification des sources, la recherche d’explication en cas d’incohérences, et si je ne suis pas juriste, j’avoue m’être déjà posé la question d’une reconversion tant j’ai passé d’heures à tenter de comprendre ces textes qui délimitent nos droits, nos devoirs, nos possibilités, etc. et que nous « ne sommes pas censés ignorer ».

Pour avoir ces dernières années été confrontée de près à différentes réglementations et leurs évolutions récentes (droit associatif, droit du travail, code civil, code de l’éducation, constitution, traités internationaux, … et en bonus diverses conventions collectives), et parce que j’ai une tendance naturelle à prendre les textes et les « autorités » très au sérieux, j’en ai conclus que :

1/ La plupart des textes sont inaccessibles pour le plus grand nombre (du simple fait de connaître leur existence à la compréhension du texte en lui-même, en passant par la facilité ou non d’accès à la version complète en vigueur),

2/ Tous les textes sont interprétables. Pour encadrer les inteprétations principales et les questions que cela pose, il existe des circulaires, des guides, des manuels, le recours à des spécialistes du droit pour les comprendre – ou à défaut les appliquer dans une situation donnée, sachant que les conseils peuvent diverger selon le spécialiste consulté ! -, et les fameuses jurisprudences, qui sont le résultat d’interprétations successives des textes réglementaires selon des situations données (dans certains cas c’est assez homogène, dans d’autres pas du tout, ce qui devrait en soi poser question).

3/ Beaucoup d’éléments de ces textes qui sont censés régir notre quotidien sont inapplicables en situation réelle. Comme s’ils avaient été écrits par des personnes n’ayant aucune expérience de terrain et/ou qu’ils ont été tellement modifiées, amendés, revus et corrigés, avec des exigences et concessions de part et d’autre que le résultat n’a simplement plus de sens (pour les curieux, je vous invite par exemple à lire la Convention Collective HCR – Hôtels-Cafés-Restaurants – en détail, je pourrais écrire un livre dessus…)

Il serait grand temps de tout remettre à plat. Pour qu’un peuple vive ensemble en bonne cohésion ou à défaut en cordiale cohabitation, il est impératif que les lois, règlements, attentes et contraintes soient (loi du nombre, le féminin l’emporte) :

  • Claires
  • Cohérentes
  • Concertées
  • Utiles
  • Lisibles
  • Compréhensibles
  • Accessibles
  • Applicables
  • Acceptables
  • Acceptées

A défaut, il ne faudra pas s’étonner que peu à peu l’écart se creuse entre ceux qui « savent » et ceux qui agissent, entre ceux qui rédigent et ceux qui vivent et adaptent, entre ceux qui verbalisent et ceux qui contestent. Quand plus personne ne saura pour quoi il faut faire comme ceci ou comme cela, il sera toujours temps de tout recommencer de manière plus actualisée et consciente, mais pourquoi attendre !

J’attends vos commentaires avec vos sources, exemples, idées…

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